Comment puis-je établir une relation d'aide ?
Comment puis-je établir une relation d'aide ?
1 - Suis-je authentique ?
2 - Ai-je bien conscience de moi ?
3 - Suis-je capable de relations positives ?
4 - Ai-je la force d'être distinct ?
5 - Ai-je assez de sécurité intérieure pour laisser l'autre libre ?
6 - Ma compréhension empathique : jusqu'où peut-elle aller ?
7 - Puis-je accepter l'autre tel qu'il est ?
8 - Puis-je lui apporter la sécurité dans notre relation ?
9 - Sans jugement ni évaluation ?
10 - Puis-je le voir "en développement" ?
11 - Conclusion
1 - Suis-je authentique ?
Puis-je avoir une façon "d'être" qui sera profondément perçue par l'autre personne comme digne de confiance, fiable ou conséquente?
La recherche et l'expérience ont toutes deux montré que c'est très important, et à travers les années, mes convictions me sont apparues comme des moyens plus profonds et meilleurs pour répondre à cette question.
J'avais l'habitude de penser que si je remplissais toutes les conditions extérieures de loyauté (maintenir les rendez-vous, respecter le caractère secret des interviews, etc...) et si je me montrais conséquent d'une façon constante durant les entretiens, alors les conditions seraient remplies.
Mais l'expérience m'a montré que, par exemple, pratiquer une acceptation conséquente, alors qu'en fait je m'ennuyais ou j'étais sceptique, ou je ressentais un autre sentiment non acceptant, était à coup sûr perçu à la longue comme inconséquent et indigne de confiance.
J'ai dû reconnaître qu'être digne de confiance ne demandait pas que je sois conséquent avec rigidité mais que je sois solidement authentique.
Le terme "congruent" est un terme que j'ai pour décrire comment j'aimerais être.
Je veux dire par là que quel que soit le sentiment ou l'état d'esprit que je serais en train de vivre, il s'harmoniserait avec le conscience de cette attitude.
Quand cela est vrai, je suis alors une personne unifiée ou intégrée, à ce moment là, et de ce fait, je peux "être", quoique profondément "je sois".
C'est une réalité sur laquelle je compte autant que les autres expériences.
2 - Ai-je bien conscience de moi ?
Une question étroitement liée à celle-là est la suivante :
En tant que personne, puis-je être suffisamment expressif de façon à communiquer sans ambiguité ce que je suis ?
Je pense que la plupart de mes échecs pour réaliser une relation d'aide peuvent remonter à des réponses non satisfaisantes à ces 2 questions.
Quand je m'ennuie avec une autre personne mais que j'en suis inconscient, ma communication contient alors des messages contradictoires.
Mes mots font passer un message, mais je communique également, par des moyens subtils, l'ennui que je ressens et celà trouble l'autre personne et le rend plus méfiant, quoiqu'il puisse également être inconscient de ce qui provoque la difficulté.
Quand, en tant que parent, ou thérapeute, ou enseignant ou administrateur, j'échoue dans l'écoute de ce qui se passe en moi, à cause de mes propres défenses à ressentir mes propres sentiments, alors ce genre d'échec semble se produire.
Il m'est apparu que la part importante de l'apprentissage fondamental pour quiconque espère établir n'importe quel type de relation d'aide, est le fait qu'il n'est pas dangereux d'être authentique avec transparence.
Si dans une relation donnée, je suis raisonnablement congruent, si aucun sentiment en rapport avec la relation ne reste caché; soit à moi, soit à l'autre personne, alors je peux être presque sûr que la relation sera une relation aidante.
Une façon d'exprimer cela qui pourrait vous paraître étrange est que si je peux établir une relation d'aide avec moi-même (si je peux être conscient de mes émotions et les accepter), alors il y a de grandes chances pour que je puisse établir une relation d'aide avec l'autre.
Maintenant, accepter d'être ce que je suis, dans ce sens, et le montrer clairement à l'autre, est la tâche la plus difficile que je connaisse et que je ne réalise jamais pleinement.
Mais, réaliser que ceci "est" une tâche, a été très gratifiant, parce que cela m'a aidé à trouver ce qui n'a pas été dans des relations interpersonnelles qui devenaient houleuses, et de les remettre à nouveau sur une voie constructive.
Cela signifiait que si je veux faciliter le développement personnel des autres en relation avec moi, alors je dois me développer et quoique ce soit souvent douloureux, c'est également enrichissant.
3 - Suis-je capable de relations positives ?
Une troisième question est la suivante : puis-je me laisser aller à vivre des attitudes positives envers l'autre personne, attitudes de chaleur, d'attention, d'affection, d'intérêt, de respect ?
Ce n'est pas facile. Je trouve en moi-même, et je sens que je vois souvent dans les autres, un certain degré de peur de ces sentiments.
Nous avons peur de nous laisser pièger si nous nous laissons aller à vivre librement ces sentiments positifs envers une autre personne.
Nous pourrions faire l'objet d'exigences ou nous pourrions être déçus dans notre confiance et nous craignons ces problèmes.
Alors, en réaction, nous essayons de construire une distance entre nous et les autres : Raideur, une attitude "professionnelle", une relation impersonnelle.
Je sens très fortement que l'une des raisons importantes de la professionnalisation dans tous les domaines, est que celà aide à maintenir la distance.
Dans le domaine médical, nous formulons des diagnostics en considérant la personne comme un objet.
Dans l'enseignement et l'administration, nous développons toutes sortes de procédures d'évaluation de façon à percevoir, à nouveau, la personne comme un objet.
Par ces différents moyens, nous pouvons, je pense, fuir la possibilité de vivre l'expérience de "l'attention à l'autre" qui pourrait exister si nous reconnaissions la relation comme existante entre deux personnes.
C'est une véritable réussite quand nous pouvons apprendre, même dans certaines relations ou à certains moments dans ces relations, qu'il n'est pas dangereux de prodiguer l'attention, qu'il n'est pas dangereux d'établir un rapport avec l'autre en tant que personne pour laquelle nous avons des sentiments positifs.
4 - Ai-je la force d'être distinct ?
Une autre question dons j'ai appris l'importance dans ma propre expérience, est la suivante :
Puis-je être suffisamment fort en tant qu'individu pour être distinct de l'autre ?
Puis-je être un solide défenseur de mes propres sentiments, mes propres besoins, aussi bien que des siens ?
Puis-je possèder, et si le besoin s'en fait sentir, exprimer mes propres sentiments comme quelque chose qui m'appartient, quelque chose de distinct de ses sentiments ?
Suis-je suffisamment fort dans ma propre distinction pour ne pas être démoralisé par sa dépression, effrayé par sa peur, ou englouti par sa dépendance ?
Mon moi intérieur est-il suffisamment robuste pour réaliser que je ne suis pas détruit par sa colère, envahi par son besoin de dépendance, ni asservi par son amour, mais que j'existe distinctement de lui avec mes propres sentiments et mes propres droits ?
Quand je peux librement sentir cette force d'être une personne distincte, alors je me rends compte que je peux me laisser aller à le comprendre et l'accepter beaucoup plus profondément parce que je n'ai pas peur de me perdre.
5 - Ai-je assez de sécurité intérieure pour laisser l'autre libre
La prochaine question est étroitement liée à la précédente :
Suis-je en moi-même suffisamment en sécurité pour lui permettre sa distinction ?
Puis-je lui permettre d'être ce qu'il est :
Honnête ou faux, infantile ou adulte, au désespoir ou trop sûr de lui ?
Ou ai-je le sentiment qu'il doit suivre mon conseil, ou rester d'une façon ou d'une autre dépendant de moi, ou se couler dans le même moule que moi ?
A ce propos je pense au petit travail intéressant de Farson qui a montré que le conseil le moins adéquat et le moins compétent tend à induire la conformité à sa personne, à avoir des clients qui se modèlent à son image.
D'autre part, le conseil le plus adéquat et le plus compétent peut avoir des interactions avec un client à travers de nombreux entretiens sans interfèrer avec la liberté du client à développer une personnalité tout à fait distincte de celle de son thérapeute.
Je préférerais être dans cette dernière catégorie en tant que parent, superviseur ou conseil.
- Ma compréhension empathique : jusqu'où peut-elle aller
Une autre question que je me pose est celle-ci :
Puis-je me laisser aller à m'introduire pleinement dans le monde de ses sentiments et de ses significations personnelles et les considérer comme il le fait ?
Puis-je plonger dans son univers privé si totalement que j'en perds tout désir de l'évaluer ou le juger ?
Puis-je y pénétrer avec tant de sensibilité que je puisse m'y mouvoir librement sans piétiner des significations qui lui sont précieuses ?
Puis-je le sentir avec tant d'acuité que je puisse non seulement comprendre les significations de son expérience qui sont évidentes pour lui, mais aussi ces significations qui sont seulement implicites, qu'il perçoit vaguement ou comme de la confusion ?
Puis-je étendre cette compréhension sans aucune limite ?
Je pense au client qui a dit :
"Chaque fois que je trouve quelqu'un qui comprend une "partie" de moi sur le moment, alors ça ne rate jamais, j'atteins un point où je sais que je ne suis "pas" compris encore une fois.... Ce que j'ai cherché si âprement, c'est quelqu'un à comprendre".
En ce qui me concerne, je trouve plus facile de sentir ce type de compréhension, et de le communiquer à mes clients individuels, plutôt qu'aux étudiants dans une classe ou aux menbres du staff d'un groupe dans lequel je suis impliqué.
Il y a une énorme tentation à tenir les étudiants "sérieux" ou à pointer à un membre du staff les erreurs de son raisonnement.
Cependant dans ces situations, quand je peux me permettre de comprendre, c'est mutuellement gratifiant.
Et avec mes clients en thérapie je suis souvent impressionné par le fait que même un minimum de compréhension empathique - une tentative hésitante et incorrecte d'appréhender la confuse complexité de la situation du client - est aidante, bien que sans aucun doute, celà aide beaucoup plus lorsque je peux voir et formuler clairement les significations de son vécu qui, pour lui, ont été confuses et embrouillées.
7 - Puis-je accepter l'autre tel qu'il est ?
Encore une autre question, c'est de savoir si je peux accepter chacune des facettes que me présente cette autre personne.
Puis-je l'accueillir telle qu'elle est ?
Puis-je communiquer cette disposition ?
Ou ne puis-je l'accueillir que conditionnellement ouvert à quelques aspects de ses sentiments et silencieusement ou franchement désapprobateur sur d'autres aspects ?
D'après mon expérience, lorsqu'une attitude est conditionnelle, elle ne peut alors développer ou changer les aspects que je ne peux pleinement accueillir.
Et quand - plus tard et souvent trop tard - j'essaye de découvrir pourquoi je n'ai pas été capable de l'accepter à tous les égards, je découvre généralement que c'est parce que j'ai été profondément effrayé ou que je me suis senti menacé par quelque aspect de ses sentiments.
Si je dois être plus aidant, alors je dois me développer et m'accepter à ces égards.
8 - Puis-je lui apporter la sécurité dans notre relation ?
La question suivante soulève un problème très pratique :
Puis-je agir avec assez de sensibilité dans la relation de façon à ce que mon comportement ne soit pas perçu comme une menace ?
Le travail que nous commençons à entreprendre en étudiant les concomitants psychologiques de la psychothérapie confirme la recherche de Dittes en indiquant combien facilement les individus se sentent menacés au niveau physiologique.
Le réflexe psychogalvanique - la mesure de la conductibilité de la peau - pique du nez quand la réponse du thérapeute est juste un peu plus forte que le sentiment du client.
Et, à une phrase de ce genre "My, tu as l'air triste", l'aiguille bondit presque hors du papier.
Mon désir d'éviter d'être menaçant même à une si petite échelle n'est pas dû à une hypersensibilité vis-à-vis de mon client.
Il est simplement dû à une conviction, basée sur l'expérience, que si je peux le libérer aussi complètement que possible de la menace extérieure, il peut alors commencer à vivre et s'occuper des sentiments et des conflits qui l'habitent et dont il se sent menacé.
9 - Sans jugement ni évaluation ?
Un aspect spécifique mais important de la précédente question est celui-ci:
Puis-je le libérer de la menace du regard évaluateur des autres ?
Dans presque toutes les phases de notre vie - à la maison, à l'école, au travail - nous nous sommes trouvés sous les jugements extérieurs exprimés sous forme de récompenses et punitions :
"C'est bien", "c'est vilain", "ça vaut un A", "c'est un échec", "c'est un bon conseil", "c'est un conseil minable".
De tels jugements sont une part de notre vie de l'enfance à la vieillesse.
Je pense qu'ils ont une certaine utilité sociale dans les institutions et dans les organisations comme les écoles ou les corps professionnels.
Comme chacun de nous, je me suis trouvé bien trop souvent en train de faire de telles évalutations.
Mais mon expérience m'a montré qu'ils ne marchent pas pour le développement personnel et de ce fait je ne crois pas qu'ils soient un élément de la relation d'aide.
Curieusement, une évaluation positive est à la longue aussi menaçante qu'une négative, du fait que dire à quelqu'un qu'il est "bien" vous donne aussi le droit de lui dire qu'il est "mal".
J'en suis donc arrivé à sentir que plus j'arriverais à maintenir une relation exempte de jugement et d'évaluation, plus cela permetrait à l'autre personne d'atteindre un point où il reconnaîtrait que le lieu de l'évaluation, le centre de la responsabilité réside en lui-même.
La signification et la valeur de son expérience est en dernière analyse quelque chose qui dépend de lui et aucun jugement extérieur ne peut changer cela.
Je préférerais donc oeuvrer dans le sens d'une relation dans laquelle je ne suis pas, même dans les sentiments qui me sont propres, en train de l'évaluer.
Je crois que ceci peut lui donner la liberté d'être une personne responsable d'elle même.
10 - Puis-je le voir "en développement" ?
Une dernière question :
Puis-je rencontrer cet autre individu comme une personne dans un processus " de développement" ou vais-je être limité par son passé et par mon passé ?
Si, dans ma rencontre avec lui, je le considère comme un enfant immature, ou un étudiant ignorant, ou un névropathe, ou un psychopathe, chacun de ces concepts qui m'appartiennent le limitera dans ce qu'il peut -être dans la relation.
Martin Buber, le philosophe existentialiste de l'université de Jérusalem, a une phrase :
"Confirmer l'autre" qui a eu une signification pour moi.
Il dit "Confirmer veut dire...accepter tout le potentiel de l'autre...Je peux reconnaître en lui, connaître en lui la personne qu'il a été...créé pour se développer...je le confirme en moi, puis en lui-même, en rapport avec cette potentialité que...peut alors être développé, peut évoluer".
Si j'accepte l'autre personne comme quelque chose de statique déjà diagnostiquée et classée, déjà modelée par son passé, alors je contribue à confirmer cette hypothèse limitée.
Si je l'accepte comme un processus "en développement", alors je fais ce que je peux pour confirmer ou rendre effectives ses potentialités.
C'est sur ce point que je vois Verplank, Lindsley et Skinner, en travaillant sur le conditionnement opérant, rencontrer Buber, le philosophe ou le mystique.
Tout au moins se regroupent-ils en principe d'une étrange façon.
Si je considère une relation uniquement comme une occasion de renforcer une certaine catégorie de mots ou d'opinions chez l'autre, alors j'ai tendance à le confirmer en tant qu'objet - un objet fondamentalement mécanique ou manipulable.
Et si je reconnais ce fait comme son potentiel, il aura tendance à agir dans le sens de la confirmation de cette hypothèse.
D'autre part, si je reconnais la relation comme une opportunité de "renforcer" tout ce qu'il est, la personne qu'il est avec toutes ses ressources existantes, alors il aura tendance à agir dans le sens qui confirmera cette dernière hypothèse.
Je l'aurai donc - pour utiliser de Buber - confirmé comme une personne vivante, capable d'un développement intérieur créatif.
Personnellement, je préfère cette deuxième sorte d'hypothèse.
CONCLUSION
Dans la première partie de cet article, j'ai examiné certaines contributions apportées par la recherche à notre connaissance sur les relations.
Essayant de conserver en mémoire cette connaissance, j'ai alors abordé le genre de questions qui émergent, de l'intérieur et subjectivement, quand je m'engage en tant que personne, dans les relations.
Si en moi-même je pouvais répondre par l'affirmative à toutes les questions que j'ai soulevées, alors je crois que toutes les relations dans lesquelles j'ai été impliqué auront été des relations d'aide, auront entraîné le développement.
Mais, je ne peux pas donner une réponse positive à la plupart de ces quesitons.
Je peux seulement travailler dans la direction de la réponse positive.
Cela a soulevé dans mon esprit un doute énorme :
La relation d'aide optimale est le type de relation établie par une personne qui est psychologiquement mûre...
En d'autres termes ma capacité de créer des relations qui facilitent le développement des autres en tant que personnes distinctes, est à la mesure du développement que j'ai déjà accompli en moi-même.
A certains égards, c'est une pensée qui dérange mais c'est aussi une pensée prometteuse et pleine de défis.
Cela voudrait dire que si je suis intéressé à créer des relations d'aide j'ai devant moi une perspective de vie professionnelle fascinante, étendant et développant mes ressources dans le sens du développement.
Je reste avec la pensée inconfortable que ce que j'ai travaillé pour moi dans cet article puisse n'avoir que peu de choses en commun avec vos intérêts et votre travail.
Si tel est le cas, je le regrette.
Mais je me sens au moins partiellement conforté par le fait que nous tous, qui travaillons dans le champ des relations humaines et qui essayons de comprendre l'ordre de base de ce domaine, sommes engagés dans la plus cruciale entreprise du monde d'aujourd'hui.
Si nous essayons de comprendre, d'une façon réfléchie, nos tâches d'administrateurs, enseignants, éducateurs, conseils professionnels, thérapeutes, nous travaillons alors sur le problème qui déterminera le futur de cette planète.
Car ce n'est pas de la Physique que le futur dépendra.
Il dépendra de nous qui essayons de comprendre et de nous occuper d'inter-actions entre les êtres humains, de nous qui essayons d'établir des relations d'aide.
Alors j'espère que les questions que je me suis posées seront de quelque utilité, pour vous, en vous aidant à comprendre davantage lorsque vous tentez, à votre façon de faciliter le développement dans vos relations.
Texte de Carl Rogers,
traduction Olga Kauffmann
sous-titres : Yves Le Petit-Laborde