La complicité ne s 'apprend pas... Elle se vit !
Partage de : M.D Philippe, l’amitié selon Aristote
A méditer !
« L'amour d'amitié, s'il implique un amour de bienveillance à l'égard d'autrui, ne s'identifie cependant pas avec lui. Il exige quelque chose de plus. Il réclame la réciprocité. Il n'y a pas amour d'amitié sans amour mutuel. Il faut que celui qui est aimé réponde à l'amour qu'on lui donne, par l'amour. C'est du reste une raison nouvelle qui nous montre que cet amour ne peut regarder que l'homme ; seul celui-ci est capable de donner une réponse semblable à l'amour qu'on lui témoigne, c'est-à-dire de répondre à un choix libre par un choix libre. L'amitié sera la rencontre de ces deux choix libres.
Pour Aristote, en effet, la note caractéristique et distinctive de l'amour d'amitié, c'est précisément cette réciprocité dans l'amour libre et désintéressé. Il dit expressément : - La bienveillance, quand elle se montre réciproque, est l'amitié. Cette réciprocité dans l'amour de bienveillance, dans la volonté de se faire du bien qualifie donc intrinsèquement l'amour d'amitié. Elle est son ultime différence spécifique. L'aimable qui spécifie l'amour d'amitié est donc non seulement celui qui attire l'amour, mais aussi celui qui le donne, puisqu'il ne spécifie proprement un amour d'amitié que lorsqu'il répond de lui-même à l'amour qu'il a suscité. Autrement dit, l'ami n'est vraiment mon ami que si lui-même me considère comme ami. Sans cette condition, il pourrait être une personne aimée, une personne à qui je veux du bien, mais ce n'est pas mon ami au sens tout à fait fort, c'est-à-dire une personne que j'aime - et qui m'aime.
L'amour de bienveillance doit être désintéressé. Aristote insiste beaucoup sur ce caractère : -celui qui désire le bonheur pour quelqu'un en ayant l'espérance de nombreux avantages pour lui-même, sa bienveillance semble alors beaucoup plus à son propre égard qu'à l'égard d'un autre.
Aristote ajoute un troisième élément caractéristique de cet amour d'amitié : il ne peut être caché. « Beaucoup sont bienveillants pour ceux qu'ils n'ont jamais vus, mais ils les supposent équitables ou serviables, et peut-être quelqu'une de ces personnes éprouve-t-elle pour eux les mêmes sentiments. Donc ils apparaissent comme bienveillants les uns envers les autres -
Rien ne semble manquer à de tels sentiments pour être une véritable amitié. Pourtant, personne n'oserait affirmer, souligne Aristote, qu'entre de telles personnes il existe une véritable amitié, puisque ces personnes ne savent pas qu'elles s'aiment réciproquement. Un amour réciproque de bienveillance qui n'est pas connu respectivement par les personnes qui l'exercent, n'est pas une véritable amitié, mais demeure un amour de bienveillance. Ce dernier élément souligne le caractère personnel de l'amitié. Il faut que la personne aimée nous apparaisse comme notre ami, tandis que le geste de bienveillance ne requiert pas une connaissance personnelle de celui envers qui l'on exerce un bienfait.
C'est pourquoi il faut dire, que l'objet propre de l'amitié est vraiment l'amour réciproque, connu comme réciproque. Ce n'est pas seulement la bonté de l'ami, c'est aussi son amour comme tel qui spécifie l'amitié, puisqu'il ne peut y avoir éclosion d'amitié que dans ces conditions. L'amitié requiert deux amours pour être elle-même, et deux amours spirituels qui ont conscience de leur réciprocité. Voilà ce qui donne à l'amitié son ultime spécification et la distingue de tout autre amour. C'est cette réciprocité en tant que connue qui peut le mieux nous faire comprendre l'intensité d'amour toute spéciale qu'exigé l'amitié. Celle-ci doit être le fruit de deux amours de bienveillance qui se croisent. Ces deux amours de bienveillance non seulement s'additionnent, mais se transforment réciproquement et consciemment en un nouvel amour.
Dans l'ordre de l'amour, il n'y a rien au-delà de cet amour d'amitié, qui du reste en lui-même n'implique aucune imperfection. Le caractère tout à fait spécial de l'amour de réciprocité nous est donc dépeint comme un don effectif et généreux à l'ami. L'ami doit être un coopérateur actif pour tout ce qui regarde l'activité même de son ami. Il doit vraiment épouser tous ses vouloirs, toutes ses intentions profondes et toutes ses réalisations. Il doit avoir un cœur aimant et affectueux, accepter les peines et les tourments de son ami. L'amour de réciprocité implique donc bien une réelle compénétration de toute leur vie. Nous pourrions dire que la bienveillance ne réclame que des dons passagers, qui se font comme de l'extérieur ; l'amitié, elle, réclame un engagement réciproque qui implique qu'on porte ensemble les mêmes responsabilités, les mêmes peines et les mêmes fatigues.
Pour être parfait, cet amour réciproque doit se prolonger dans le temps. L'amitié doit durer. Il y a là une donnée chère à Aristote, qui, comme physicien, a le sens du temps : La durée est nécessaire à l'amitié « Il lui faut l'épreuve du temps pour se stabiliser et lui permettre de réaliser cette réciprocité si profonde des vouloirs des amis. La bienveillance, au contraire, peut être parfaite, tout en étant subite, instantanée, car elle reste beaucoup plus extérieure. Elle ne regarde qu'un aspect de celui qu'elle aime, une de ses vertus, une de ses qualités, sans pénétrer dans ce qu'il y a de plus intime en lui. Elle ne réclame pas de compénétration des personnes entre lesquelles elle se réalise. Par là, la bienveillance est beaucoup plus proche de la passion. Elles ont la même instabilité. L'amitié, à cause de son élément de choix libre, est au-delà des passions et de leur mouvement. De par sa nature, elle dépasse le temps ; c'est pourquoi elle demande de durer.
M.D Philippe, l’amitié selon Aristote.