Photos Paty
La preuve par cinq que n'importe quel arbre est plus intelligent que vous et moi
La télé ou sur Internet un arbre ça parle…
Il ne se passe plus une semaine sans que l’on ne se mobilise pour des arbres.
Ici on inaugure un arboretum, là on organise une journée publique pour une espèce de cognassier en détresse, là on pétitionne contre l'abattage de 200 chênes pédonculés centenaires (à Saint-Yrieix-sur-Charente en ce moment). Ou l’on mobilise les mécènes pour un projet de sauvetage des 42 000 platanes du Canal du Midi face au chancre coloré (des étudiants toulousains s'y emploient avec le MIT de Boston).
Vu l'intérêt gourmand des médias pour ces initiatives il faut croire que le sujet fait de l'audience : un arbre ça parle !
Les sites de passionnés fleurissent sur Internet et l’on admire ce qui était hier réservé à un aréopage de botanistes : les plus beaux arbres du monde, les plus vieux, les plus hauts, les plus curieux. Les plus remarquables… Le succès du label "Arbre remarquable de France", remis par l'association A.R.B.R.E.S. en atteste.
Pendant des centaines de milliers d’années (jusqu’à hier), l’arbre a parlé à l'oreille des hommes. Il les a inspirés, abrités, protégés, soignés, nourris. Il a écouté leurs prières, leurs promesses, leurs palabres, et les hommes l’aimaient, le craignaient ou le respectaient.
La modernité avait balayé un temps ces "sottes croyances", ces "histoires à dormir debout", reléguant le roi des végétaux à un paramètre paysager, fournisseur de confort. Mais la roue tourne : c'est ce lien sacré que l'on retrouve, et bien au-delà des nouveaux enjeux de la biodiversité.
En 2014, hommes et arbres communiquent autrement : à l'échange direct, intime, physique, s'est substituée cette communication virtuelle par réseaux, par médias, par prix interposé. Pourquoi pas ?
Se mobiliser pour un arbre situé à des centaines de kilomètres est peut-être le plus court chemin pour redécouvrir le sureau tout proche auquel on n’avait pas prêté attention…
Que nous dit le chêne ?
On dit que rien ne se produit par hasard. Ce chêne vedette de l'année avait donc quelque chose à nous dire là, maintenant, et il l'a dit plus fort que les autres. Comme le châtaignier corse qui a reçu le prix du Jury, symbole d'une résistance séculaire (à Pianello où l'on vit de la châtaigneraie on l'appelle "l'arbre à pain"). Ou ce hêtre lorrain, prix spécial, le seul à avoir survécu sur ce champ de bataille de la guerre de 14.
Que nous dit ce robuste chêne vert charentais dans sa langue ? Il nous parle d'identité : le chêne est l'arbre des druides. Un arbre qui conforte et rassure, apporte force et réassurance. Un arbre au comportement exemplaire d'indépendance (s'il pousse au milieu d'un champ il y est seul, s'il grandit dans une chênaie il se fera vite sa place par des coupes claires autour de lui).
C'est par l'intermédiaire du chêne que les druides nourrissaient leur pouvoir spirituel et pouvaient opposer leur indépendance au pouvoir temporel. Cela n'a pas échappé aux rois de France qui en ont fait un symbole royal, et à nos instituteurs qui entretiennent cette image d’Epinal.
Identité, force, (ré)assurance, spiritualité… ce discours du chêne vert a plu en ces temps de perte de valeurs, de perte d'identité, et d'inquiétudes diverses.
On remarquera d'ailleurs que le chêne, espèce la plus répandue en France, est logiquement l'arbre que les Français comprennent le mieux : depuis sa création en 2011 ils ont toujours voté pour un chêne : d'abord un chêne pédonculé puis un chêne bonzaï (mais pas petit), et maintenant ce chêne vert. Que d'honorables et forts sujets… et pas des pousses de l’année !
On a tous un arbre dans le cœur
Dans les jours qui précèdent l'élection du plus bel arbre de l'année on voit dans certains villages des banderoles appelant à voter pour le candidat local. Pourquoi tant d'énergie pour ce prix sans récompense ?
Cela amènera quelques touristes, je pense à ce village de la Creuse où il n'y a rien à voir comme l’avouent ses habitants sinon un magnifique sujet au milieu d'une clairière. Grâce au concours il revit et a même touché des subventions pour aménager une promenade.
Non la vérité, c'est que valoriser l'arbre est une excellente façon de parler de soi, de son histoire, de ce que l'on est. C'est un poncif mais l’arbre est un lien, il nous ramène à nos racines, nous ouvre des ailes. On a tous un arbre en tête ou dans le cœur : ce hêtre sous lequel on faisait la sieste avec grand-père, ce tilleul des tisanes de grand-mère, ce cerisier où l'on grimpait les dimanches, ce platane du premier baiser, ce tremble avec nos initiales gravées, ce peuplier au fond du pré, ce cèdre du jardin qui a croisé tous nos aïeux, ce néflier aux fruits tentants, ce magnolia fleuri, ce ginkgo impassible, ce touchant cognassier de travers, cet orme maudit où hulule la chouette… Les arbres sont nos compagnons de vie, ils peuplent nos jours, hantent nos nuits.
Alors pour toutes ces raisons, parce qu’ils sont beaux, rayonnants, généreux, parce qu’ils parlent, transmettent, remémorent, les arbres sont forcément intelligents. Leur immarcescible présence (en dépit du temps et des agressions humaines), le confirme.
Derrière le populaire regain d’intérêt dont ils sont l’objet j'entrevois cette reconnaissance, cette prise de conscience grandissante de l’intelligence du seigneur du végétal. On la soupçonne plus qu’on ne l’explique, on la ressent plus qu’on ne l’évoque, et pourtant elle ne fait plus mystère…
Cette intelligence végétale, les pionniers de la nouvelle dendrologie commencent à la comprendre. Il nous en a fallu du temps pour s’intéresser à ces formes de vie dominantes (99% de la biomasse du vivant) ! Et l'on découvre soudain que loin de « végéter », l’arbre serait plus évolué que nous.
Voici au moins 5 bonnes raisons de penser que l'intelligence d'un arbre n'est pas inférieure à la nôtre mais seulement différente :
1ère raison.
L'arbre a un ADN complexe : à la différence de l’homme doté d'un seul génome, son ADN peut se décliner différemment, branche par branche, et s’activer ou se réactiver selon les saisons.
Les génomes des arbres se rapprochent parfois de celui de l'homme (chez certaines espèces de pins notamment) mais ils portent beaucoup plus de gènes. Celui du Pinus taeda (pin à torches) par exemple est 7 fois plus long que le génome humain. Chaque gène de l'arbre code la même protéine (à la différence du gène humain qui peut coder pour plusieurs protéines) mais ce codage se fait inlassablement, avec une redoutable précision, toujours dans le respect du code originel. La complexité génétique du Pinus taeda nous rappelle ainsi que les conifères datent de l'époque des dinosaures. Et cette mécanique sans faille n'interdit pas aux arbres d'évoluer, de s'adapter, bien au contraire…
C’est sans doute ce qui explique que les arbres résistent à tout, même au temps, à l’image de ce houx royal de Tasmanie qui en 2014 nous nargue du haut de ses 43 000 ans. La vie humaine est bien brève à leurs pieds, ils nous précèdent et nous succèderont sans doute.
2ème raison.
L'arbre n’est pas programmé génétiquement pour mourir. Seuls des événements externes le tuent : froid, bûcheron, incendie, etc. Et il sait résister aux agressions mortifères. On connaît la légende du ginkgo qui a survécu au point zéro à Hiroshima, l’histoire de ce poirier survivant au pied du World Trade Center à New York ou celle de ce chêne millénaire, en Palestine, seul dans un terrain vague des territoires occupés.
Parfois on le croit "mort" depuis longtemps… et il revit en engendrant un clone par l’alchimie végétative du sol (et l'incroyable coopération des champignons). C’est ainsi que renaissent des forêts primaires en Amérique du Sud sur des zones érasées.
L'arbre est un génie de la reproduction : quand il ne revit pas par ses racines (rejet de souche), par la base de son tronc (drageonnage), par ses branches (marcottage) ou ses racines aériennes, il confie à ses fleurs le pouvoir d’attirer les insectes qui assurent la pollinisation et met à contribution l’eau, le vent. Et la fleur cède place au fruit, l’appât, dont la graine sera disséminée par les oiseaux, d’autres animaux et d’autres courants. Une graine peut traverser un océan. Un vrai transport amoureux.
3ème raison.
Parce qu’immobiles, les arbres doivent faire preuve d'une formidable intelligence biochimique. Face aux prédateurs, homme en tête, aux parasites ou aux maladies, ils déploient des stratégies végétales qui laissent la science pantoise. En imitant par exemple les ennemis de leurs ennemis, ou en les attirant, ou en rendant leurs feuilles toxiques s’il le faut.
Les pins maritimes, par exemple, ont des sortes de "capteurs de courbure" qui leur permettent d'adapter leur forme penchée en fonction des vents dominants.
Autre exemple : il y a quelques années, dans la région du Kalahari, les antilopes se sont mises à mourir les unes après les autres. Elles se nourrissaient pourtant bien, de feuilles d'acacia… Au point qu'elles s'étaient multipliées, saccageaient les arbres et commençaient à menacer l'existence même de l’acacia. Après enquête, on a découvert en laboratoire que les feuilles en question contenaient un taux de tanin 8 fois supérieur à la normale : il a bien fallu admettre que ces acacias, se sentant menacés par l'antilope prédatrice, avaient réagi…